Les périodes et les époques n’exigent pas des humains les mêmes qualités. Nos pays d’Occident viennent de vivre 70 ans de richesse économique, de liberté politique et de paix extérieure. Nos peuples ignorent depuis deux générations déjà, la situation de tragédie nationale. Doit-on penser qu’ils sont heureux pour autant ? Pas du tout. À défaut de guerre ils s’affolent des émeutes de banlieue. À défaut de dictature, ils voient venir l’oppression quand le gouvernement fiche les citoyens. Quand tout va bien, on trouve encore du malheur dans le moindre embarras. On se souvient qu’en 1968 (mentalité bien visible par exemple dans les films de Bertrand Tavernier), la jeunesse gorgée de bienfaits était persuadée de vivre dans une société positivement malheureuse.

L’ampleur de la période que nous venons de traverser a émoussé nos capacités de réaction : notre sensibilité est si grande qu’elle se mue en sensiblerie. Nous ne supportons plus grand-chose. L’annonce brutale et troublante de notre impuissance persistante nous laisse pantois.

Chaque moment historique façonne des caractères différents. Chez certains peuples, par exemple en Europe centrale, les époque ou situations tragiques se sont succédées sans interruption pendant l’ensemble du XXe siècle. Pendant des décennies, des esprits d’élite y étaient partout traqués, devaient se cacher pour penser et passaient une partie de leur existence en prison ou en exil. Une histoire qui produit des peuples courageux, tandis que la tranquillité des 70 dernières années produit des gens assistés et sensibles. Parce qu’il est probable que les suites de la pandémie ressembleront à celles d’une guerre, il nous faudrait bien cesser de nous plaindre et forger des caractères.

Chantal Delsol, de l’Institut, auteur de « Le Crépuscule de l’universel » (Le Cerf, 2020)
Le Figaro – 18 mars 2021

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