Travailler de chez soi pendant le confinement fut difficile : terminée la présence effective d’autrui,  terminés les bavardage autour de la machine à café ; un effort de concentration accru devant les écrans. Et tout ceci pour certains depuis leur cuisine ou leur chambre à coucher, dans des appartements exigus, pas équipés pour le labeur de toute une journée, avec la nécessité parfois de s’occuper des enfants en même temps…  

Mais cela a signifié aussi pouvoir travailler en jogging (voire en caleçon), pieds nus, avec juste un joli haut télégénique en Zoom. 

Maintenant que les télétravailleurs reviennent en entreprise, beaucoup ne veulent plus renouer avec l’inconfort des costumes-cravates et des hauts talons : le pantalon de ville avec une ceinture élastique et les baskets, même avec une jolie robe, ont fait leur apparition dans les rues des villes et dans les bureaux. Et on se rend compte qu’on est tout aussi efficace, sinon plus, quand on n’est pas prisonnier de ses vêtements. En Inde, on a compris depuis longtemps que dans les grosses chaleurs, on est beaucoup plus élégant avec une veste en coton que transpirant sous un veston ajusté. La jeune femme qui a raté un rendez-vous pour un talon aiguille cassé ne connaîtrait plus cette mésaventure aujourd’hui.

Depuis les crinolines, les corsets, les fraises, les chaussures à poulaines, les hauts cols des femmes girafes et autres fantaisies, les gens ont toujours eu l’art de croire s’embellir en s’imposant des contraintes, parfois folles. Le vêtement était aussi un marqueur. Discriminant, quand il désignait un groupe social mal vu ou réprouvé.  Objet de fierté, quand il indiquait une fonction, une dignité, et surtout un métier. Aujourd’hui que l’inclusion est de rigueur, les tenues professionnelles sont plutôt réservées aux militaires, aux fonctionnaires de police, aux personnel de santé… 

Comme l’écrivait Henri Michaud, « l’habillement d’un peuple en dit beaucoup plus long sur lui que sa poésie. » De jeunes Coréennes qui ont réussi à passer du Nord au Sud comptent parmi leurs conquêtes le droit de porter des blue-jeans, ces anciens vêtements de travail devenus l’uniforme (décontracté) des jeunes et des moins jeunes. Mais regardez les vieux enregistrements : les Beatles portaient costume et cravate ! Leur originalité se bornait à leurs cheveux longs, bientôt imités. Leur créativité, à leur musique. 

Dans Le sang de l’espoir, Samuel Pisar raconte comment le choix d’un vêtement lui a sauvé la vie. Pressentant que les nazis allaient incessamment emmener la famille, sa mère avait posé sur le lit une culotte courte et une culotte longue et elle hésitait : laquelle devait-elle lui faire porter ? En culotte courte, le petit garçon resterait avec sa mère et sa sœur ; en pantalon, il partirait avec son père. Elle se décida pour le pantalon. « Cette nuit-là », explique Samuel Pisar, « ma mère me sauva la vie. Les femmes et les enfants furent regroupés au sein d’une colonne dont tous les membres furent assassinés. Grâce à mon pantalon long, je fus placé dans l’autre colonne, celle des hommes, des travailleurs. »

Hélène Braun

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