C’était à la mi-août juste après le dîner dans un refuge de montagne des Hautes-Alpes. Avant de regagner les dortoirs, les occupants du lieu osé dans un site somptueux sont restés un moment autour des tables en bois pour goûter encore un peu le plaisir d’être ensemble dans cet endroit hors du monde. Et c’est là que le miracle s’est produit. Un groupe d’adolescents a sorti un jeu de tarots, leurs aînés un plateau de Scrabble, un atelier de massage cervical s’est improvisé sur un banc et surtout les conversations ont redoublé. C’est que dans ce refuge, il y a de l’électricité mais pas assez pour recharger les smartphones et le réseau n’y passe pas.
Certes les médias sociaux permettent une richesse infinie d’échanges et d’accès à la connaissance, quelles que soient les distances. Mais leur usage généralisé est pour les plus fragiles source de stress et d’anxiété. Ils mettent une pression inédite sur les adolescents, qui constamment assujettis à l’angoisse de l’image, se doivent de mettre en scène leur vie quitte à la fantasmer. Les dégâts consécutifs au Covid-19 n’ont fait qu’exacerber une tendance antérieure.
Dans la plupart des pays, les rencontres avec de vraies personnes se raréfient, les relations sexuelles aussi. Cette solitude source d’angoisse peut aller jusqu’à la maladie mentale pour quasiment toute une génération.
Cette addiction vient aussi de la peur du vide, du désir frénétique de remplir le temps. Or, c’est de l’ennui que l’on se construit, que l’on imagine, que l’on trouve le manque et le désir, que l’on rêve, que l’on réfléchit, que l’on crée, que l’on fait du sport, ou l’on va au cinéma, aux expositions, au théâtre, aux balades en forêt et aussi que l’on aime. L’art comme l’amour naissent de l’ennui et meurent de la technologie.
Alors pour lutter contre ce fléau de santé publique qu’est l’abus des écrans, avant des mesures qu’il sera difficile d’imposer au géants du Web, accordons-nous des plages de régime sans smartphone, des expériences de retour vers le futur comme celui de ce refuge de montagne.
Philippe Bernard – Le Monde – 4 septembre 2022
Eliette Abécassis – La Croix – 20 septembre 2022