Les nuits chaudes de printemps, les amphibiens émergent de sous les feuilles mortes, les bûches et les abris où ils ont hiberné et partent pour la mare où ils vont se reproduire. Les gros animaux comme les gnous sont célèbres pour leurs grandes migrations. Pas les petits amphibiens qui échappent aux regards humains. Or, proportionnellement, leur voyage est tout aussi (sinon encore plus) long. Et il est incroyablement dangereux : ils doivent affronter l’obscurité, la pluie, contourner des troncs d’arbres, des brindilles et des feuilles, qui sont pour eux de gigantesques obstacles, échapper aux serpents et à d’autres prédateurs…

Et la plupart du temps, ils doivent traverser des routes. Beaucoup périssent écrasés sous les roues d’une automobile. On ne sait pas combien en tout. Mais d’après une étude sur les salamandres dans le Massachusetts, 17% de ceux qui parcourent 100 mètres meurent sur la route, et 37% de ceux qui doivent parcourir 500 mètres. Un sort ignominieux et injuste pour ces héros de contes de fées que sont les grenouilles, les crapauds et les salamandres !

Or cette année, aux Etats-Unis, la grande migration des amphibiens a coïncidé avec le grand confinement dû au coronavirus. Avec l’arrêt de la circulation automobile, nous avons « un immense terrain d’observation pour voir ce qui se passe hors de l’action humaine et étudier son véritable impact sur la migration des amphibiens », se réjouit Greg LeClair, étudiant en herpétologie à l’Université du Maine, fondateur d’un réseau de volontaires qui aident les amphibiens à traverser les routes et les recensent.

Le voici, une nuit de mai, avec sa compagne Samantha Grimaldi et leur bébé qu’ils portent à tour de rôle, tous trois masqués, patrouillant dans un bois du Maine. De chaque côté de la route, des mares saisonnières. Chacune d’elle peut contenir des milliers d’amphibiens et l’air résonne de leurs appels énamourés. Greg soulève un petit triton violet à pois jaunes. C’est vraiment un animal intéressant : quand il respire, il gonfle les joues car il y a encore en lui quelque chose des branchies du poisson dont il descend ; et les pois qui ornent son dos sont phosphorescents car, vivant en symbiose avec une algue, il est le seul vertébré sur terre à bénéficier de la photosynthèse.

Les amphibiens, sont ici depuis des temps immémoriaux. Ils ont survécu à toutes sortes de cataclysmes. Ce serait dommage que leur espèce s’éteigne pour cause d’accident de circulation. Sans doute faudrait-il envisager de créer des passages spécialement pour eux, comme il en existe pour d’autres animaux.

Brandon Keim et Greta Rybus – International New York Times – 20 mai 2020
En Europe aussi, des actions semblables sont menées, voir notamment :
refletsdeaudouce.fr/focus-migration-amphibiens/

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