« A l’époque du premier confinement, où nous n’étions pas encore masqués, nos peurs étaient focalisées sur le contact tactile inopiné. Les gestes les plus machinaux, les plus anodins sont devenus sources d’inquiétude : récupérer de la monnaie, taper nos codes de carte bancaire, appuyer sur le bouton de l’ascenseur, partager des écrans tactiles… En bâtissant cette civilisation du tout-digital, certes porteuse d’un incroyable confort matériel, nous n’avions pas imaginé nous trouver un jour à la merci du toucher et d’une telle menace vitale. Par là nous avons redécouvert sa prévalence trop oubliée dans nos existences. Car, comme dit l’anthropologue David Le Breton, le toucher est le sens des sens.

Vivre masqué transforme à la fois notre vie sensorielle et notre vécu émotif. Toute rencontre, rappelait Jean Starobinski, est rencontre d’un visage. Toute relation débute par un échange de regards, de paroles, de sourires ou non… Le masque agit comme un mur, qui ne laisse voir que la moitié du visage d’autrui et nous prive du mouvement de ses lèvres, de ses rictus, de ses moues… Bref de tout ce langage émotionnel qui nous renseigne sur son état affectif et ses dispositions à notre égard. »

Sous le masque de carnaval, que l’on ne porte pas en permanence, on se sent plus libre et l’on fait la fête. Derrière le masque chirurgical « on a l’impression de vivre constamment dans un hôpital à ciel ouvert. Il renforce la distance, accroît le sentiment de solitude et contribue à une forme de désensualisation généralisée des relations sociales. »

Hervé Mazurel, historien des affects et de l’imaginaire – propos recueillis par Nicolas Truong – Le Monde – 23 décembre 2020

https://www.youtube.com/watch?v=BeOQMGmRKI0&ab_channel=Parolesd%27histoire

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