Guido Reni – L’enlèvement d’Europe
« Une amélioration de l’enseignement de l’histoire pourrait prévenir les révisionnismes facilités par l’ignorance.
L’idée d’enseigner l’histoire aux enfants est, partout, née en même temps que l’idée de nation. Il s’agissait alors de raconter ou d’inventer un roman national à travers des faits légendaires pour consolider le sentiment d’identité nationale.
La difficulté consiste aujourd’hui à amener ces nations qui, bien souvent, sont nées de la guerre et pour la guerre, à enseigner le passé et des raisons d’en être fier. Les dirigeants sont donc confrontés à un dilemme : comment consolider le sentiment national, tout en s’assurant que soient transmises des valeurs de paix et de réconciliation ? L’Europe est globalement en paix depuis plus de soixante-dix ans. Cela ne peut durer que s’il y a une transmission de ces valeurs, car la paix ce n’est pas seulement l’absence de guerre, c’est aussi la réconciliation.
Il n’y aura jamais de doxa commune. Mais il faut que chaque pays veille à raconter aussi l’histoire de ses voisins et qu’il donne accès à ses archives pour que chacun puisse savoir comment un même événement, une date symbolique ont été vécus, de part et d’autre, par les vainqueurs et les vaincus.
L’expérimentation d’un manuel franco-allemand a par exemple buté sur le récit autour du 11 novembre 1918 – victoire pour les Français, début d’un engrenage mortel pour les Allemands. De même le choix du 9 mai comme Journée de l’Europe – pour commémorer la Déclaration Schuman du 9 mai 1950 – résonne autrement dans les pays d’Europe centrale pour qui le 9 mai 1945 était le jour de la capitulation de l’Allemagne nazie face aux troupes alliées et en conséquence leur passage sous le joug communiste.
Il faut raconter l’histoire de l’Europe sur le temps long et faire comprendre aux jeunes générations qu’au cours des siècles tout le monde a été à la fois coupable et victime.
L’enseignement de l’histoire est un champ de mines, une cause d’embarras pour tous les pays ; et aucun d’eux ne supporte qu’une institution extérieure le conseille, le blâme ou le classe sur la qualité de son enseignement en la matière, alors que cela est admis pour les sciences dures, avec le classement PISA.
L’Observatoire de l’enseignement de l’histoire en Europe a identifié trois catégories de pays.
Les plus nombreux sont ceux où l’histoire tend à devenir ou redevenir un lieu de grand chauvinisme national, voire de propagande nationaliste.
Les pays de l’Europe du Nord où, de manière assez choquante, l’histoire n’est pas enseignée en tant que telle, comme une succession d’événements avec des causes, des conséquences, des drames… mais abordée de manière parcellaire, désarticulée et transversale. Et il n’existe pas de programme national, car cela pourrait être considéré comme une atteinte à la liberté de penser.
Ces deux approches forment des jeunes générations nationalistes ou amnésiques.
Dans six pays seulement, on respecte des critères visant à renforce la réconciliation entre les peuples.
Il faut espérer que ces constats vont susciter des discussions et de l’indignation, et faire prendre conscience aux Etats que des améliorations sont nécessaires et qu’il est possible d’adopter une approche de croisement des regards. »
Alain Lamassoure, ancien ministre délégué aux affaires européenne, président de l’Observatoire de l’enseignement de l’histoire en Europe – propos recueillis par Stéphanie Le Bars – Le Monde – 23 janvier 2022