« La génétique des populations consiste à comparer la diversité des génomes entre individus et entre populations afin, d’une part, de retracer leur histoire et les origines de notre espèce et, d’autre part, de mieux comprendre la façon dont les populations humaines se sont adaptées aux différents environnements climatiques, nutritionnels ou pathogéniques auxquels elles ont été soumises.
Par exemple, certaines populations européennes ont un variant du gène spécifique de la lactase qui leur permet de digérer le lait à l’âge adulte, d’autres, au Tibet, possèdent des mutations grâce auxquelles elles peuvent s’adapter au manque d’oxygène des hautes altitudes, d’autres encore, les Bajau, les « nomades de la mer », un groupe ethnique de Brunei, d’Indonésie, de Malaisie orientale et des Philippines sont munies des variants génétique qui rendent possibles de longues apnées sous l’eau.
Nous savons même séquencer le génome des hommes préhistoriques à partir d’un simple bout d’os. C’est la paléogénomique. On a pu ainsi comparer le génome de l’homme de Neandertal à celui des populations actuelles et on a retrouvé des bouts de génomes communs, ce qui reflète un ancien métissage survenu il y a environ 45 000 ans. Aujourd’hui, nous savons que tous les individus hors d’Afrique ont entre 2% et 2,5% de matériel génétique hérité de Neandertal. Nos ancêtres venant d’Afrique n’étaient adaptés ni au climat ni aux pathogènes rencontrés en Europe. Ce métissage a été un facilitateur de survie.
Le gène qui permet aux Tibétains de vivre en altitude vient du métissage avec l’homme de Denisova. Grâce à la génétique on a découvert cette autre espèce archaïque juste à partir d’un morceau de phalange du doigt d’une fillette dans la grotte de Denisova, en Sibérie. En extrayant l’ADN de ce bout d’os et en le comparant avec celui de Néandertal, on a vu que ces deux génomes avaient divergé il y a environ 500 000 ans. Ce qui montrait qu’il s’agissait d’une nouvelle espèce. Nous savons également qu’il y eut métissage entre les Néandertaliens et les Denisoviens car, dans la même grotte, on a trouvé une fillette avec une mère Néandertalienne et un père Denisovien. Et ces deux espèces ont eu de la descendance féconde.
Sans remonter aussi loin, la génétique a montré qu’en Afrique les fermiers bantous et leurs voisins chasseurs-cueilleurs pygmées se sont métissés et ont ainsi échangé des gènes qui leur ont permis de mieux résister aux maladies infectieuses comme le paludisme.
Le métissage s’est beaucoup accéléré ces derniers siècles, il y a des continents entiers où la totalité des populations sont métissées. Le Brésil récapitule la diversité génétique de la planète entière. D’un point de vue purement scientifique, la diversité génétique qu’amène le métissage est toujours un plus pour faciliter notre adaptation et notre survie.
Et quand l’homme n’a pas pu s’adapter de façon biologique il l’a fait de façon culturelle, technique, en inventant les antibiotiques et les vaccins, en faisant fermenter le lait pour le digérer à l’âge adulte… »
Lluis Qunitan-Murci, biologiste et généticien de l’évolution, professeur au Collège de France et à l’Institut Pasteur, auteur de « Le Peuple des humains, sur les traces génétiques des migrations, métissages et adaptations » (Odile Jacob, 2022) – propos recueillis par Claude Vincent – Les Echos – 28 janvier 2022