Photo Nadine B.

 

Quand le télescope James-Webb s’est progressivement activé, début 2022, la période la plus critique a été le déploiement de cinq voiles superposées de polymère aluminisé constituant le bouclier thermique qui protège l’instrument du rayonnement solaire. Aussi vaste qu’un terrain de tennis pour des épaisseurs de quelques dizaines de microns, cette structure fragile a constitué un sérieux défi pour les ingénieurs. Il s’agissait, en effet, de la serrer repliée dans la coiffe d’Ariane-5, et d’envoyer ce cerf-volant gigantesque s’épanouir à un million de kilomètres de la Terre, à l’aide d’une centaine de moteurs, de vérins et d’extenseurs, actionnés par un ballet ultra-précis.

Cette naissance d’un genre nouveau ressemble à l’éclosion des fleurs, un phénomène banal somme toute, mais qui, par comparaison, semble relever du miracle : comment la structure délicate d’une fleur peut-elle se déployer sans dommages à partir du bouton ? Y a-t-il un programme qui constituerait un équivalent biologique d’une check-list de la NASA ?

Les physiciens s’intéressent depuis longtemps à ces questions et ont montré qu’un grand nombre de caractéristiques du processus de croissance et des formes finales des fleurs sont souvent le résultat émergent de phénomènes physiques subtils. 

Par exemple, deux chercheurs de Harvard ont étudié en 2012 la croissance du lys oriental « Casablanca ». Les pétales de cette fleur sont initialement enserrés dans un bouton en forme de capsule fuselée qui les courbe vers l’intérieur. Après éclosion, ils se déploient en renversant complètement leurs courbures – un peu comme une pelure d’orange qu’on retournerait – et adoptent cette forme gracile et ouverte, qui fait tant ressembler les fleurs à des pistes d’atterrissage pour abeilles en mal de pollen. La cause principale du déploiement-retournement de chaque pétale provient d’un taux de croissance cellulaire plus grand sur le bord qu’au centre. Cette croissance non homogène induit aussi l’ondulation élégante des bords des pétales. 

De plus en plus nombreuses, de telles études biophysiques constituent une source d’inspiration dans le domaine des matériaux et de l’ingénierie. Les prochaines générations de satellites, stations spatiales et autres bases lunaire auront pu profiter de ces études patientes et minutieuses que les physiciens font aujourd’hui à partir des petits miracles printaniers de nos jardins.

Wiebke Drenkhan (CNRS) et Jean Farago (université de Strasbourg), physicienne et physicien à l’Institut Charles-Sadron à Strasbourg – Le Monde – 24 mai 2023
Lire à ce sujet la rencontre avec Stéphane Charlot 

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