Photo: Hélène Braun

C’est à Venise que s’est élevée d’abord la protestation des habitants contre le trop grand nombre des touristes. La tension s’est encore accrue avec l’accostage de paquebots géants. Depuis, il en va de même à travers le monde entier, en premier lieu dans les sites les plus prestigieux, mais aussi dans des endroits moins connus. 

D’un côté, nous avons tous la bougeotte, accentuée encore par la fin du confinement. C’est le propre d’une humanité sujette depuis toujours à des pulsions profondes de mobilité et curieuse de découvrir d’autres paysages. D’un autre côté, c’est le désarroi des populations périodiquement envahies par des millions de gens de passage. Qui n’a eu l’occasion d’observer, de ses propres yeux ou sur les médias, les corps allongés sur les plages, les files d’attente devant les musées, les chenilles processionnaires en route vers les sommets de l’Himalaya ?

Au XIXe siècle déjà, Stendhal se plaignait de voir Florence submergée « par six cents Russes ou Anglais et qu’il n’y [avait] plus moyen d’accéder aux musées ». Schopenhauer recommandait de ne pas, malgré son succès, aller à Lucerne, « petite ville quelconque qui ne mérite d’être connue que pour le lac des Quatre Cantons ». 

Ces déplorations justifiées semblent dérisoires en comparaison des situations actuelles qui ont trait à des visiteurs infiniment plus nombreux, qui ne communiquent guère avec la population. On comprend que les habitants ressentent le phénomène comme une invasion de sauterelles… avec à peine plus d’individualité que ces insectes. Le poète hollandais, Ilja Leonard Pfejffer, décrit l’Italie comme littéralement « dévorée » par le tourisme de masse. En réalité, le simplisme peut être trompeur : les visiteurs réveillent momentanément des communautés somnolentes, leur apportent devises et emplois (tourisme, hôtellerie-restauration, commerces) ; et les habitants se divisent grosso-modo entre les vieux désireux de tranquillité et les jeunes qui veulent travailler.  

Deux scénarios opposés sont possibles pour demain : la poursuite, mieux maîtrisée, des tendances actuelles, le freinage de la mobilité pour des raisons écologiques. À ce stade, nous sommes bien en peine de choisir…

Prospective.fr 

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