Voyages, voyages, bagages, bagages…

« Vous ne savez pas comme c’est dur d’être une femme de quarante ans ! », soupire la jeune femme, avec, dans la voix, les accents pathétiques de Madame du Barry suppliant sur l’échafaud : « Encore un moment je vous prie, monsieur le bourreau ! » 

Sur le tapis, une petite valise à roulettes ouverte laisse voir le contenu : quelques vêtements et surtout un grand nombre de produits de beauté et d’hygiène, pour la plupart liquides et en gel. Elle veut tous les garder avec elle. Inflexible, le contrôleur des bagages à l’embarquement de l’aéroport répète, en souriant d’abord, puis le visage de plus en plus fermé, au fur et à mesure que s’allongent la discussion et la file des voyageurs qui attendent derrière : 

  Voici un sac transparent comme celui que vous auriez dû montrer. Mettez dedans les produits que vous voulez garder avec vous. Les autres seront jetés. 

– Il fallait prévenir !

– Vous étiez prévenue ! Ce règlement est en vigueur depuis 2006, affiché dans l’aéroport et indiqué sur les documents de voyage. Si vous vouliez tout emporter, vous auriez pu mettre votre valise en soute. 

La passagère hésite longuement, choisit quelques produits, les repose, en choisit d’autres, hésite encore… Finalement, une contrôleuse vient à la rescousse en libérant une autre porte pour les passagers qui attendent et craignent de manquer leur avion. 

Est-ce par crainte de ne pas retrouver sa valise à l’arrivée que la voyageuse aux nombreux produits de maquillage avait décidé de les garder avec elle ? Depuis la généralisation des voyages en avion, chacun a au moins une anecdote à relater sur des bagages en soute momentanément ou définitivement égarés. Ayant débuté des vacances par un shopping d’urgence, Hector et Aurélie se débrouillent pour n’emporter avec eux qu’une valise-cabine à roulettes chacun, même pour un long séjour au bout du monde. Caroline fait de même parce qu’elle avait cru malin de passer la longue nuit d’avion dans un jogging confortable, en ne gardant avec elle que son sac à main ; débarquant un samedi soir dans une petite ville, elle a dû assurer un rendez-vous professionnel le lundi matin, vêtue d’une robe violette gentiment prêtée par une amie, bien plus grande et grosse qu’elle, qui la faisait ressembler à une grosse aubergine.

Les règles s’appliquant aux denrées autorisées ou non à passer les frontières, même en soute, sont depuis longtemps très strictes aux États-Unis. Erika, qui habitait Francfort, s’est mariée avec son amoureux de Washington, emmenant avec elle son épagneule Babeth. Cette dernière était aussi heureuse que sa maîtresse, sauf sur un point : elle avait la nostalgie d’une certaine marque de croquettes pour chiens qu’on ne trouvait qu’en Europe. Peu de temps après, une de ses amies allemandes s’apprêtait à lui rendre visite. Son cadeau : un gros paquet des croquettes favorites de Babeth. En remplissant le formulaire à l’entrée du territoire, elle se rendit compte qu’elle devait jurer de ne transporter aucune nourriture. Elle ne cocha pas la case et informa l’officiel : « rassurez-vous Madame, c’est un produit sec, pas de souci ! » 

Ariana a certainement regretté que la même interdiction ne s’applique pas encore entre la Grèce et la France quand elle a eu l’idée de transporter, dans une grosse valise, une chèvre entière congelée. Vous l’avez deviné : le bagage s’égara. On le retrouva quatre jours plus tard, en déshérence… détectable à son odeur nauséabonde.

La voyageuse qui, de la fin du XIXe siècle au milieu de XXe siècle, battit le record du nombre de kilomètres parcourus à travers le monde à pied, à cheval, à dos de yak, à dos d’âne, en chaise à porteur, en bateau, en avion, fut sans doute Alexandra David-Néel (1868-1969). Elle fit renouveler son passeport quand elle eut 100 ans. En 1924, elle fut la première Occidentale à visiter la ville interdite de Lhassa au Tibet. Elle et son fils adoptif, déguisés en pèlerins, le visage barbouillé de suie, de fausses nattes en poil de yak et une toque de fourrure sur la tête, pénétrèrent dans le Potala, le palais d’hiver du Dalaï Lama. Ils réussirent à prendre quelques photos. Mais ils furent découverts à cause d’un bagage incongru : parce qu’elle ne pouvait pas se passer de son bain quotidien, Alexandra emportait partout avec elle une baignoire portative. 

Lors d’une visite à Sarah Bernhardt, l’écrivain Pierre Loti remarqua « un cercueil capitonné de satin blanc, fait d’un bois noir et odorant ». La comédienne s’y allongeait pour étudier ses rôles. Quand, en 1874, elle recueillit pour les derniers mois de son existence sa jeune sœur Régina qui se mourait de tuberculose, elle l’installa, comme elle le raconte elle-même « dans des amas de dentelle, dans [son] grand lit de bambou » et dormit chaque nuit dans « ce petit lit blanc qui devait être [sa] dernière couchette ». Sa manucure l’y surprit et bientôt tout Paris fut au courant : « les cancans vêtus d’ailes de canard prirent leur vol dans toutes les directions ». Amusée par le scandale, la comédienne s’y fit tirer le portrait vêtue d’une robe blanche, les mains croisées sur la poitrine.  

En 1880, elle embarqua à bord du paquebot « L’Amérique » pour une tournée triomphale de New-York à Cincinnati, en voiture-Pullman spéciale. Ce train comportait une chambre, un salon avec piano et quatre lits pour son personnel. Il n’est pas inimaginable que le fameux cercueil-couchette ait fait partie du voyage.

Bonnes vacances !

Hélène Braun 

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