Les amateurs de la série américaine « Cold Case : affaires classées » et des documentaires sur les crimes non résolus ont dû se réjouir de la mise en place, le 1er mars 2022, d’un pôle spécialisé au tribunal de Nanterre.

Las, ces dossiers restent le dernier des soucis de la justice française. Des affaires qui, à force de traîner, s’enlisent, des procédures que le temps érode et que des magistrats débordés ou peu allants renvoient de semaine en mois, de mois en années, aux calendes. 

Après dix-huit mois d’enquêtes, un dossier non élucidé est classé « cold case ». Il rejoint la pile de ceux que la mémoire judiciaire range sur des étagères rarement explorées parce que trop hautes, comme les objets perdus au mont-de-piété. 

Didier Seban, avocat de l’association Christelle, qui se bat pour que ces affaires ne tombent pas définitivement aux oubliettes, ne décolère pas : « chaque année, on compte en France près de mille homicides. Environ 70% sont jugés par des tribunaux. Il en reste 30% qui ne font pas l’objet d’un procès. Si on multiplie par 10, sur dix ans, on arrive à 3 000, et sur trente ans, on se rapproche des 10 000. » Ces chiffres ne relèvent pas d’une simple comptabilité macabre. Ils représentent des victimes et des familles qu’on a abandonnées à leur désarroi. 

L’un des tout premiers objectifs assignés au Pôle cold cases de Nanterre était de procéder, tribunal par tribunal, à l’inventaire des dossiers mis en sommeil d’homicides, de disparitions et d’enlèvements avec séquestration. Une circulaire envoyée en ce sens à tous les parquets n’a reçu pratiquement aucune suite. Une seule magistrate honoraire, Isabelle Théry, s’est plongée dans les archives de la cour d’appel de Paris pour inventorier les ordonnances de non-lieu relatives à des meurtres commis en Ile-de-France. 

Contrairement à celles des Anglo-Saxons, les juridictions françaises rechignent à exhumer et traiter les affaires classées. Et pour cause : un cold case résulte souvent d’une enquête mal menée avec une scène de crime souillée, des indices oubliés, des analyses négligées, des scellés égarés ou trop vite détruits, des manques dans l’investigation et révèle l’incompétence d’acteurs de la justice.

Raphaël Nedilko est un officier de police judiciaire qui, à force de patience et d’obstination, a, contre son entourage et sa hiérarchie, identifié les auteurs de deux meurtres particulièrement atroces après respectivement dix-huit et vingt-cinq ans d’oubli. Pour lui, « le vrai point noir de l’institution comme des hommes qui la servent est la difficulté à se remettre en question. Non, reprendre un cold case ne consiste pas à croire que l’on aurait été meilleur, mais à procéder à une analyse objective des actes effectués, pour tenter de détecter ce qui manque, quitte à tout recommencer ». Quitte à risquer de ne pas aboutir après des années d’effort… 

Yves Bordenave – Le Monde – 29 mars 2023
Raphaël Nedilko avec Catherine Siguret – L’Obstiné – Editions Studiofact – 2023

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