Avant les livres, il y a des histoires. Avant même qu’ils ne parlent on les chante aux enfants. Puis on les leur raconte. Et ils en redemandent, aussi souvent que de la nourriture. Ils veulent entendre encore et encore leurs histoires favorites. Puis, ils en découvrent d’autres dans les livres : l’histoire d’une petite fille qui tombe dans un terrier, l’histoire d’un vieil ours idiot et d’un cochon peureux… Ils les intègrent dans les jeux et les rêves où ils démolissent des châteaux, naviguent sur l’océan, combattent des dragons. Toute leur vie ces histoires vont nourrir leur imagination.
Quand j’étais enfant, en Inde, j’étais fasciné par « La Reine des Neiges » d’Andersen, parce que je ne connaissais de glace que celle du réfrigérateur, et par « Les nouveaux habits de l’Empereur », parce que c’était l’époque qui suivait l’Empire britannique.
En tant qu’émigrant, j’ai toujours été intéressé par le voyage des contes et des fables, la manière dont ils sont traduits et adaptés autour du monde. Ma famille musulmane et laïque, croyait aux grandes légendes hindoues. Quand je rédigeai « Les enfants de minuit », dont le narrateur, Saleem, a un gros nez, je l’associai à Ganesh, le scribe du « Mahabharata », qui a aussi un gros nez.
Le pays du fantastique n’est pas nécessairement un refuge où triomphent la morale et le bien. La cruauté, la peur, l’exploitation, le meurtre y ont leur place. Le capitaine Crochet veut tuer Peter Pan, le loup avale la grand-mère, les sorcières et les ogres cherchent à dévorer les enfants. Nous savons que les maisons en pain d’épice et les tapis volants n’existent pas, mais que l’amour, la haine, la peur, le pouvoir, la bravoure, la mort existent. Les histoires que nous aimons effacent la frontière entre le réel et l’imagination, elles racontent des choses invraisemblables mais disent des vérités profondes. Toute notre vie elles nous aideront à comprendre le monde, influenceront nos jugements et nos choix.
Et vous, quelles sont les histoires qui vous ont durablement marqué ?
Salman Rushdie – International New York Times – 26 mai 2021