Nous n’avons aucune idée de ce que nous apportera l’intelligence artificielle. Il n’est pas sûr que les craintes qu’elle suscite se vérifient. Mais ces craintes ne sont pas infondées car on peut aussi en faire mauvais usage. Ainsi la diffusion de fausses archives audiovisuelles. Dans un monde où même la science crée des anticorps complotistes, combien feront confiance aux historiens quand un bout de film habilement falsifié surgira sur les réseaux sociaux, dans lequel par exemple, Harry Truman, président américain en 1945, demanderait à son état-major de faire croire à l’existence des chambres à gaz ?
Partager la vérité est essentiel pour une nation. Les archives, notamment audiovisuelles, ont une valeur immatérielle très importante. Si la confiance disparaissait, il s’ensuivrait un chaos monumental. Des archives savamment modifiées peuvent monter les gens les uns contre les autres. L’influence des deepfakes sur les élections a déjà été étudiée, par leur effet pernicieux sur l’interprétation de l’histoire. L’exemple ancien du faux protocole des Sages de Sion suggère que cela doit être prise au sérieux.
Il faudrait donc d’urgence lancer un projet international de sécurisation et de protection des archives de l’humanité et l’accompagner d’un investissement massif vers les disciplines universitaires chargées de ce passé : historiens, archéologues notamment. Ce projet viserait à rendre ce passé non altéré accessible aux générations futures.
Etienne Wasmer, professeur d’économie à la New York University d’Abu Dhabi – Les Échos – 1er juin 2023