A travers toute l’Europe se multiplient les initiatives tendant à instaurer la semaine de quatre jours ou de trente heures, avec maintien du salaire antérieur. C’est en Islande que ce phénomène est apparu pour la première fois. La journée de travail est de moins en moins continue, les formes nouvelles de travail se diversifient, avec entre autres le télétravail et la multiplication des lieux de co-working. L’activité professionnelle est en concurrence avec le bricolage et le jardinage chez tous ceux qui en ont le goût et la possibilité.
On voit se désorganiser un monde du travail très longtemps ordonné avec la semaine de quarante ou quarante-huit heures, des statuts professionnels qui assuraient l’égalité des conditions, les conventions collectives… Ce monde apparemment ordonné restait marqué par ses origines militaires. N’y avait-il pas quelque chose d’archaïque dans la culture ouvrière de masse, illustrée à la fin du XIXe siècle par le premier film au monde, celui des frères Lumière montrant la sortie de leur propre usine ?
On comprend ceux qui déplorent la montée de l’individualisme et notent que la culture d’entreprise est désormais en péril avec le déclin de la solidarité et de la fraternité. Mais ce n’est plus le sujet.
Ce sont désormais les demandeurs d’emploi qui dictent leurs conditions. Dans ce domaine comme dans tant d’autres, il faut remiser les vieux manuels et aller empiriquement au-devant de ce qui surgit. Les technologies favorisent le phénomène. Et le développement de l’intelligence artificielle ne devrait pas le freiner. Il faut ajouter l’impact ressenti partout en Europe des évolutions démographiques.
Ces transformations sont l’amorce de changements plus profonds : contraintes ou volontaires, la confiance faite aux personnes et par ailleurs l’impératif de compétence. Autour d’elles, on voit toutes les formes de travail se réorganiser, la formation tout au long de la vie cesser de n’être qu’un thème pour les fins de banquets. Les usages changent : moins de socialisation, moins de rencontres informelles autour de la machine à café ; l’identité profonde des lieux de travail devient différente. Etrangement, la question des retraites, qui va pourtant évoluer profondément, n’est pas un sujet.
Nous voyons ce qui se passe en Allemagne à propos de l’intégration des populations professionnelles émigrées d’Ukraine, accueillies comme un don du ciel par des chefs d’entreprise qui ne trouvent plus de personnel… et des directeurs d’école qui redoutaient des fermetures de classes. Et nous aurions intérêt à réfléchir à la régression du modèle salarial et à la nécessaire réinvention du système de protection sociale fondé sur ce modèle.
Par contre, n’oublions pas que le travail est un fondement majeur et global de l’organisation sociale. L’expérimentation à partir de zéro en matière d’organisation sociale et professionnelle devrait être reconnue comme primordiale.
Armand Braun