D’abord, l’activité à distance a été un recours pour de nombreuses entreprises et leurs salariés, les pédagogies numériques vantées comme l’avenir du système éducatif, et les réunions en visio se sont multipliées. Gardons-nous bien de critiquer ce phénomène, qui a rendu de très grands services. Réjouissons-nous au contraire que tant de gens aient pu en bénéficier. Ne cherchons même pas à évaluer l’ampleur des drames auxquels il a permis d’échapper.
Les mêmes promesses coloriées en rose il y a quelques mois le sont aujourd’hui de couleurs bien plus sobres. La fatigue du télétravail et des visioconférences se fait sentir. Fatigue d’avoir à se concentrer continument sur un écran. Frustration due à la solitude, à l’absence d’échanges informels « devant la machine à café ». Quant au téléenseignement, non seulement il accentue les inégalités entre les enfants équipés et aidés et ceux qui ne le sont pas, mais il efface tout un pan indispensable de l’école : la socialisation.
C’est avec curiosité mais sympathie que nous espérons observer très vite une décrue. Dans les entreprises. Par exemple, que restera-t-il bientôt de la promesse de Peugeot qui annonçait vouloir faire travailler tout son personnel à distance ? Dans l’enseignement, où le constat est clair : plus l’effort de numérisation augmente, plus la qualité de l’enseignement baisse, plus les résultats des élèves diminuent.
Pour autant, cette technologie fait partie désormais de tous les acquis. Le numérique peut apporter une plus-value éducative pertinente lorsqu’il s’inscrit dans un projet pédagogique structuré et se trouve placé au service d’enseignants qualifiés et formés. Il n’a pas fini de rendre service aux entreprises et à leurs salariés en favorisant la recherche de meilleurs équilibres entre les diverses formes et les divers lieux du travail. Enfin, on observe que le travail à distance peut modifier la nature même du travail et la géographie humaine. Des travailleurs à distance se sont installés dans des régions périphériques qui ne vivaient pratiquement que par le tourisme et qui ont beaucoup souffert de l’interdiction des voyages due à la pandémie : en Europe, la Croatie, les Canaries, Madère, l’Estonie ; en Amérique, les Bermudes…
Nous avons affaire à des transformations fondamentales. L’unité de lieu, de temps et même d’action n’est plus nécessaire. C’est la révolution numérique, deux siècles après la révolution industrielle.
Mais, tout étant dit, il reste une question qui ne peut être traitée d’une manière simpliste : comment optimiser l’esprit de création, sur lequel la téléactivité exerce forcément une influence ?
Jean-Marc Vittori – Les Echos – 4 novembre 2020
Michel Desmurget, auteur de « La Fabrique du crétin digital » (Seuil, 2019) – Le Figaro – 9 février 2021
Marie Charrel – Le Monde – 14 avril 2021