Photo Nadine B.

 

On observe actuellement un boom des nouvelles traductions. Est-il pertinent de retraduire des œuvres déjà traduites ? C’était le sujet de « La Comédie du livre », le festival littéraire qui s’est tenu à Montpellier du 5 au 14 mai.

La Bible détient le record des retraductions, spécialement le Cantique des cantiques, dont 265 versions en français ont éclos depuis la Renaissance. Le désir de retraduire naît d’une impression d’inassouvissement en comparant un original à sa traduction. Alors on remet l’ouvrage sur le métier pour s’approcher du texte parfait. Retraduire est d’abord un jeu merveilleux pour l’intelligence. 

Et il y a pour cela beaucoup de bonnes raisons. 

D’abord, il arrive que la première traduction soit fautive. Un traducteur japonais décortiquant un texte sur la belote, jeu auquel il ne connaissait rien, a traduit : « Il battit les cartes et les distribua » par « il flagella les cartes et fit une offrande. » La première traduction des romans de Kafka par Alexandre Vialatte a eu le mérite de le faire connaître au public français mais elle était entachée de fautes. Pour la version de la Pléiade en 2018, Jean-Pierre Lefebvre a tenu compte de l’apport de ses prestigieux prédécesseurs – Alexandre Vialatte, Bernard Lortholary et Marthe Robert – pour une version française qui reflète bien le style déchiré, parfois convulsif de Kafka.  

Il est aussi nécessaire de retraduire lorsque l’original lui-même était tronqué ou expurgé. C’est notamment le cas de la littérature russe du XXe siècle, qui était censurée ou circulait sous le manteau dans différentes versions. 

Et puis les traductions vieillissent. Claire de Oliveira qui a consacré cinq ans à retraduire La Montagne magique de Thomas Mann en donne un seul exemple. « Mon prédécesseur avait traduit l’adjectif allemand    ̎ beschissen   ̎ par   ̎ breneux   ̎, un terme rabelaisien, obscur et oublié. Or   ̎ beschissen   ̎vient du mot   ̎ Scheisse   ̎ (  ̎ merde   ̎). J’ai donc remplacé   ̎ breneux   ̎ par ce qu’on dirait aujourd’hui :   ̎ de merde   ̎. »

Jusque dans les années 1980, il était impensable de restituer une œuvre étrangère autrement que dans une langue châtiée et élégante, quitte à l’édulcorer. Les noms des personnages étaient eux-mêmes traduits en français. Aujourd’hui, on colle davantage au texte source.

Mais toutes ces bonnes raisons n’expliquent pas l’avalanche des retraductions actuelles, destinées à relancer les ventes de classiques, voire à flatter le caprice d’un(e) écrivain(e) célèbres. Elles sont quelquefois pertinentes, souvent superflues, voire carrément ridicules lorsque Les Hauts de Hurlevent d’Emily Brontë deviennent « Hurlemont », ou la « novlangue » de George Orwell devient « nouvlangue ».

Florence Noiville avec Nicolas Weill – Le Monde – 5 mai 2023
Bernard Banoun – L’Histoire des traductions en langue française – Verdier – 2012-2019
Lire à ce sujet la Rencontre de mai 2021 avec Bernard Lortholary

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