La vie s’est arrêtée, l’économie aussi, les gens ont dû rester chez eux, les moyens de transport urbain ont circulé à vide, les touristes ne sont pas venus… Les événements depuis le mois de mars représentent pour les grandes métropoles du monde un choc majeur et inconcevable : on l’a observé et ce n’est pas fini à Londres, à New-York, un peu partout à travers l’Europe, l’Asie, et les Amériques, à Paris et dans nos grandes villes. Des frontières pandémiques ont été érigées et des quatorzaines imposées aux voyageurs. Voilà qui est connu.

Ce qui ne l’est pas et dont nous ne pouvons encore prendre la mesure, c’est l’impact durable de ce choc sur la vie dans les grandes villes. Qui aurait imaginé que le télétravail allait si vite se répandre, et probablement pour durer ? Que les restaurants seraient désertés, les hautes tours de bureaux vidées, que les commerçants tomberaient en dépression nerveuse ? Que les locaux professionnels, bureaux et commerces, allaient devenir trop chers, trop grands, trop nombreux ? Que les grands réseaux de transport seraient partiellement concurrencés par de nouveaux modes individuels de déplacement ?

Déjà les tensions dues à la montée du chômage et au stress social provoqué par ces événements deviennent chaque jour plus nombreuses et plus violentes. La rupture pourrait s’approfondir encore si la reprise économique n’est pas suffisante et nul ne peut dire ce que les paysages métropolitains seront dans quelques mois.

La conséquence peut-être la plus grave et dont il faut espérer qu’elle ne durera pas, c’est que tous les projets de développement des métropoles, ces jeunes institutions qui n’ont pas encore fait leurs preuves, sont désormais compromis. Nul n’est dans l’immédiat en situation de poursuivre la mise en œuvre des projets pour l’avenir. Ce qui veut dire que des chantiers colossaux, tel celui du métro francilien, sont, quoiqu’on nous en dira, en péril. Et, bien entendu, les controverses vont s’intensifier entre ceux qui accueillent comme de bonnes nouvelles cet arrêt d’activités majeures, ceux qui essayent de survivre, ceux qui essayent malgré tout de continuer à lancer de nouveaux projets.

Ce n’est que par des initiatives à la dimension de ce qui se passe que la crise pourra peut-être être surmontée. Conseils et recommandations ne manquent pas. Ce qui fait défaut en revanche, ce sont les deux données en l’absence desquelles les manuels de stratégie militaire recommandent de ne rien faire : une force, une idée. Quand elles sont absentes, il n’y a plus qu’à baisser les bras.

Une force. La métropole parisienne est en principe incarnée par le Grand Paris, qui représente sept millions d’habitants et 131 communes. C’est bien, même si, à l’échelle du monde d’aujourd’hui, cette auto-qualification de « Grand » est légèrement prétentieuse, car le Grand Paris vient après plusieurs dizaines d’autres villes dans le monde en termes de population et de superficie. Le problème, c’est que le Grand Paris n’a ni les pouvoirs, ni les ressources qui lui permettraient d’être autre chose qu’une structure de concertation. Le pouvoir et le ressources sont au-dessus (l’État, la Région Ile-de-France) et au-dessous (les communes). Il n’est pas possible de mobiliser les données nécessaires à l’action là où elles devraient être disponibles.

Une idée. La fatalité est capable de tout emporter, mais il arrive qu’elle manque d’imagination. Encore faut-il être en mesure d’agir : on ne sait pas, avant de les avoir vues, si les troupes qui arrivent sont celles de Grouchy ou de Blücher. C’est une évidence : les enjeux urbains qui sont devant nous ne pourront être traités efficacement qu’à l’échelle de la zone urbaine dans son ensemble, indépendamment de la fragmentation actuelle du territoire. Quelques exemples parmi d’autres : le télétravail permettra peut-être de supprimer 25 à 30% des déplacements aux heures de pointe ; le taux de retour au travail, encore assez faible, va se relever mais nous ne savons ni quand ni dans quelles proportions ; les transports en commun ont perdu la moitié de leur clientèle, la retrouveront-ils ? On ignore quelle sera la nouvelle normalité. Conférons au Grand Paris les moyens d’action qui lui seraient nécessaires. Et mettons en œuvre l’idée : unifier le territoire de la zone urbanisée de l’Ile-de-France au sein d’une entité unique.

Attention, une telle vision ne doit pas accroître encore les susceptibilités des personnalités et des institutions concernées. Elle doit viser à renforcer et non à déposséder les 131 communes, qui se sont toutes construit une personnalité spécifique. Et l’unification opérationnelle ne doit certainement pas faire ressurgir la propension nationale pour le jacobinisme.

Mais le lissage et l’interactivité de tous les modes de transport sont une nécessité évidente, qui impose la présence d’un coordonnateur, que le Grand Paris a vocation à être.

Et rappelons que lorsqu’un Francilien, qu’il soit de Montmorency, Rueil, Torcy ou ailleurs, est en voyage et qu’on lui demande où il habite, il répond depuis longtemps : « Paris ».

Armand Braun

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