« Enfant, déjà j’importunais mes parents en leur demandant sans cesse des grammaires et des dictionnaires. Au point qu’ils m’ont emmené voir un psychiatre. Mais celui-ci a dit :  » Votre enfant n’est pas du tout fou. C’est un enfant habité.  » Il avait raison. Je suis un homme habité. J’ai une monopassion. La musique occupe une place capitale dans ma vie, mais elle ne m’habite pas comme l’amour des langues. Par la suite, j’ai aussi été habité par la beauté des femmes. Celle-ci non plus, pourtant, n’est pas comparable avec l’émotion que me procurent les langues. Évidemment, quand les deux se rejoignent, quand je rencontre une étrangère qui m’apprend sa langue, elle peut faire de moi ce qu’elle veut. »

« Je m’insurge contre cette idée que l’anglais s’impose aujourd’hui du fait de sa relative simplicité. Le degré de difficulté d’une langue ne joue pas le moindre rôle dans sa capacité d’acquisition. Et puis, l’anglais est une des langues les plus difficiles du monde ! D’abord par sa phonétique. Ensuite par son caractère idiomatique. Pour vous donner un exemple parmi des centaines d’autres, on dit en anglais courant : « Yesterday we had guests and when they left we saw them off. » Littéralement : « Hier, nous avons eu des invités, et quand ils sont partis, nous les avons vus dehors. » Qu’est-ce que cela veut dire ? Qu’on les a accompagnés jusqu’à la gare ou à l’aéroport. Aucun moyen logique de le deviner : vous savez ou pas. L’anglais fourmille de ces idiomatismes. Seuls les gens qui le parlent mal prétendent que l’anglais est facile. »

Claude Hagège, linguiste, auteur notamment de « Halte à la mort des langues (Odile Jacob, 2000) et de « Le Linguiste et les Langues » (CNRS Éditions, 2019) – propos recueillis par Florent Georgesco et Jean-Louis Jeannelé – Le Monde – 13 décembre 2019

https://www.youtube.com/watch?v=yqIAP5CaHiM

Voir aussi le roman d’Adam Biro, « Quelqu’un d’ailleurs » (Flammarion – 1995)

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