En janvier, deux équipes différentes ont réussi à capter et séquencer l’ADN présent dans l’atmosphère. En aspirant et filtrant l’air au beau milieu de deux parcs zoologiques européens, chaque équipe a identifié des traces ADN caractéristiques de dizaines d’espèce de mammifères oiseaux et reptiles. Les espèces vivantes laissent derrière elles des fragments d’ADN à travers les déjections, l’urine, les poils, les écailles, la salive. Ces fragments que l’on extrait d’un échantillon de terre, d’eau ou, en l’espèce, d’air, constituent ce qu’on appelle l’ADN environnemental ou « ADNe ».

Chaque animal, plante ou bactérie ayant une séquence qui lui est propre – un code-barres spécifique à chaque espèce – retrouver une telle séquence dans un environnement donné prouve que l’espèce correspondante est présente où y est passée récemment ou même plusieurs semaines auparavant. 

On peut ainsi traquer les présences d’espèces sensibles, invasives ou rares à travers les traces génétiques qu’elles laissent dans l’environnement. Là où il fallait des jours à des naturalistes expérimentés pour localiser certains animaux, quelques litres l’eau filtrée parviennent au même résultat. 

La technique coûte de moins en moins cher. Le premier séquençage d’un génome humain, achevé en 2003, a coûté 2,7 milliards de dollars. Il se ferait aujourd’hui pour moins de 1000 dollars. 

On peut traquer l’ADN d’ours polaire dans les traces de pas sur la neige, identifier cerf, chevreuil et élan à partir de la salive laissée sur les arbustes broutés, dresser un inventaire de la biodiversité marine en séquençant les éponges qui filtrent l’eau des océans. 

Au-delà de la simple connaissance, les applications pratiques vont se multiplier. Dans les champs de mil au Sénégal, l’ADNe a permis de retracer les liens complexes de prédation et de parasitisme de dizaines d’espèces, révélant les ennemis naturels de la chenille mineuse de l’épi du mil. On peut analyser la qualité des sols, ou suivre les allergènes – pollen, spores de champignons, micro-organismes – présents dans l’air au fil des saisons. Ou encore surveiller l’impact de puits de pétrole offshore : à travers les bactéries qui, à travers leur absence ou leur présence, sont des indicateurs de certains polluants et peuvent révéler une fuite de pétrole, une contamination aux métaux lourds, parfois la présence de déchets radioactifs. 

Yann Chavance – Le Monde – 16 mars 2022

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