Lorsqu’ils suspectent un tableau d’être une contrefaçon, les experts de l’OCDC (Office central de lutte contre le trafic des biens culturels) le scrutent de trois manières : une analyse artistique, une analyse technique et une analyse physico-chimique. Un des plus grands faussaires des dernières années, Wolfgang Beltracchi, fut ainsi trahi par du blanc de titane dans une toile censée être d’une époque où ce pigment n’existait pas encore.
Une nouvelle technique fait appel à la datation au carbone 14, mise en œuvre en l’espèce par le Laboratoire de mesure du carbone 14 au Commissariat à l’énergie atomique à Saclay. Pour les périodes allant du XIVe au XIXe siècle, les estimations sont trop imprécises, à cinquante ans près au mieux. En revanche, on peut savoir si des tableaux supposés antérieurs à la seconde Guerre mondiale ont été réalisés plus tard grâce à … la bombe atomique.
En effet, de 1945 à 1963, les bombardement d’Hiroshima et Nagasaki, puis les essais nucléaires aériens soviétique et américains on produit énormément de carbone 14, au point que la concentration dans l’atmosphère a doublé dans les années 1960. Cette forte teneur en carbone se retrouve dans les minuscules échantillons (toile, fragments de peinture, bois du chassis, poils de pinceaux pris dans la peinture) qu’on peut prélever pour les analyser. Une toile signée de Henri Martin (1860-1943) et une autre signée Blanche Hoschedé Monet (1865-1947) se sont avérées fausses grâce à la plus performante des techniques de comptage des atomes de carbone 14, la spectrométrie de masse par accélération, pour laquelle il suffit de quelques milligrammes de matière.
Mais bientôt, de même que les faussaires malins choisissent désormais soigneusement leurs pigments, de même ils vont acheter dans une brocante des toiles quelconques de l’époque désirée, les décaper et y peintre leurs faux chefs d’œuvre.
Pierre Barthélémy – Le Monde – 23 février 2022