Photo: Stockunlimited

Être salarié en Chine signifie bien gagner sa vie, avoir un travail intéressant, pouvoir vivre en ville, trouver une compagne. La compétition qui permet à certains d’accéder à ce statut envié commence dès la prime enfance et représente une course d’obstacles très difficile, parmi des milliers de concurrents, de préférence dans les écoles d’ingénieurs et autour de tout ce qui a trait au numérique…  jusqu’à l’âge de trente-cinq ans environ.

Au-delà, selon l’expression d’un jeune professionnel, « on tombe dans un précipice ». On est trop vieux pour être au faîte de la compétence, trop cher par rapport aux plus jeunes… On a eu une douzaine d’années de bon, on est voué maintenant à rechercher un job plus mal payé dans une entreprise de deuxième ou de troisième rang. Et, un peu plus tard encore, à se réfugier dans l’obscurité des bureaucraties, des banlieues ou de la campagne. Seuls les fonctionnaires, qui bénéficient d’un emploi stable, peuvent espérer se marier, avoir des enfants, acheter une voiture, voyager. Et les grandes entreprises recrutent moins. En 2022, le nombre des mariages a diminué de 10,5% par rapport à l’année précédente, les naissances sont chaque année moins nombreuses. Et les difficultés professionnelles sont encore plus grandes pour les femmes. 

D’après les calculs d’un économiste à Beijing, environ cinquante millions de personnes âgées de quarante ans et plus pourraient se retrouver au chômage en 2028. 

Ces données annoncent une catastrophe. Déjà lorsqu’ils ont passé leurs derniers examens, on explique aux étudiants qu’ils doivent modérer leurs anticipations… Quel État serait capable de remettre au travail une population si nombreuse, en pleine possession de ses moyens physiques et intellectuels, de surcroît formée et urbaine, sans revisiter ses normes et valeurs professionnelles ? Même si les entreprises chinoises les plus prestigieuses (Ali Baba, Tencent…) pratiquent des métiers modernes, les archétypes professionnels sont toujours ceux d’une bureaucratie. Entre l’appareil d’État et l’opinion publique, la rupture est engagée.  

Y a-t-il lieu de le rappeler ? Les métiers d’avenir sont des métiers de managers et de spécialistes, d’experts reconnus pour leur compétence ; et surtout des métiers pratiqués par des individus, seuls ou avec leur entourage, plaidant leur offre sur un vrai marché du travail national et mondial, en dehors de tout cadre institutionnel local. L’ample transformation qu’exigerait la promotion de ces métiers n’est, à notre connaissance, pas à l’ordre du jour en Chine.  

Li Yuan – International New York Times – 30 juin 2023
Tong Zhao – Neue Zürcher Zeitung – 2 août 2023
Prospective.fr 

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