Dans un ouvrage magnifique et déchirant, considéré comme l’un des 100 meilleurs romans anglais publiés depuis les années 1920, Never let me go (2005), Kazuo Ishiguro, l’auteur de l’inoubliable Vestiges du jour, nous fait faire la connaissance de Kathy, une jeune femme élevée dans un pensionnat perdu au milieu de la campagne. Elle se remémore ces années d’apprentissage où elle et ses camarades, coupés du monde, avaient été, sans autre explication, encouragés par une enseignante à développer leurs talents artistiques pour prouver « qu’ils avaient une âme ». Peu à peu la terrible vérité se révélait à eux : clone d’un autre enfant menant une vie normale, chacun servait de banque d’organes pour son double.
Mieux que des clones, voici les jumeaux numériques. Répliques parfaites de l’existant, de l’infiniment petit (ADN, microbe, bactérie, cellule…), au très grand (bâtiment, population…), en passant par l’extrêmement complexe (cœur, cerveau…), ils sont capables d’évoluer en même temps que leurs modèles et même d’anticiper leur évolution.
L’expérimentation in silico est utilisée en médecine pour le soin et la recherche. Alors qu’il faut des années pour recueillir des informations dans le monde réel, les simulations effectuées sur les jumeaux numériques permettent de réduire le temps nécessaire à la compréhension des phénomènes.
Les applications sont d’ores et déjà innombrables : dès le début de la pandémie, des hôpitaux ont revu le fonctionnement de leurs systèmes de climatisation pour prévenir les risques de diffusion du virus du Covid ; des chirurgiens répètent inlassablement un geste compliqué jusqu’à le maîtriser parfaitement ; de nouveaux traitements sont testés à grand échelle sur des cohortes variées de patients virtuels ; de nouveaux stents et autres dispositifs cardio-vasculaires sont mis au point sur des simulations de cœurs en 3D et de même des prothèses ou des orthèses parfaitement adaptées à chacun après avoir été essayées sur leur double digital…
Kazuo Ishiguro – Auprès de moi toujours (2006)
Elsa Bembaron – Le Figaro – 13 août 2022