Quel est le point commun entre le déclassement scientifique et industriel de la France, la déroute de l’administration dans la gestion de la crise sanitaire et l’appauvrissement du débat dans la sphère publique ? À des degrés différents, tous sont les conséquences de l’affaiblissement de la culture scientifique dans notre société.
Les polytechniciens, seuls hauts fonctionnaires sensibilisés aux sciences et techniques, ont quasiment disparu des postes-clefs de l’État au profit des énarques, dont la culture est naturellement administrative. Il ne faut pas s’étonner que ceux-ci ne comprennent pas les grands enjeux scientifiques et techniques.
Prenons l’exemple de l’évaluation des politiques publiques. Alors que la France décroche dans tous les classements internationaux, on continue à affirmer que nous avons « le meilleur système de santé », « le meilleur système éducatif », « la meilleure protection sociale », « les retraites les plus protégées ». Si nos élites avaient été formées à la démarche scientifique, elles analyseraient, compareraient et concluraient naturellement à la nécessité de nous inspirer d’expériences qui fonctionnent ailleurs. Ce que nous ne faisons quasiment jamais.
Apprendre les sciences, c’est apprendre à penser. Réinjecter de la science dans la sphère publique n’est pas une affaire de moyens, c’est d’abord une affaire de contenu et une ambition à assumer. À l’école, mieux former les enseignants, stimuler la curiosité de l’enfant, lui apprendre à douter. Côté administration, favoriser les parcours issus du monde scientifique et technique. Dans la sphère publique et politique, assumer une parole capable de reconnaître erreurs et ignorances. En formant les futurs citoyens à la démarche scientifique, on réarmerait intellectuellement les Français face à la complexité du monde.
Philippe Juvin, chef de urgences de l’hôpital européen Georges-Pompidou – Le Monde – 30 avril 2021