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« Partout sur Terre, depuis toujours, tous les individus de toutes conditions, âges et habitus, chérissent les parfums. Les Moldaves et les Qataris, les Uruguayens, vous et moi : les vieux, les enfants et leurs mères pareillement. Jusqu’aux anosmiques.
Je pense notamment à ma mère. Son manque quasi-total d’odorat – et partant, de goût – lui resta ignoré. Grâce à une imagination aussi miséricordieuse que débridée qui, entre deux synopsis de roman-photo, lui fit rédiger pendant plusieurs années des recettes de cuisine lunaires pour improbables magazines (toasts aux nouilles, boudin aux fraises, crème gélatine-Nesquick).
Et surtout, ressentir l’inconnu comme si elle le touchait du doigt. Du chèvrefeuille, elle avait vu les abeilles devenir folles ; des roses, elle avait caressé les pétales satinés ; par la cardamome et la cannelle, s’était souvenue de son enfance à Djibouti, là où, accompagnant sa nounou au zouk, elle avait encore tant rêvé devant les volutes d’encens.
Pour ce qui est du parfum vrai, le filet d’une Cologne coulant sur ses clavicules avait été une expérience ineffable, la lecture de Gabrielle Colette, hautement instructive, et les vitrines de Guerlain suffisamment tentatrices pour reconnaître que c’était un objet beau. Hélas, longtemps dans une dèche sévère (la cuisine surréaliste nourrissant mal son auteur), elle considéra que le plaisir olfactif importait moins que le coût d’une bonne école et s’en passa assez pour que je n’aie aucune mémoire du très proustien « parfum de ma mère », le soir à l’heure du baiser. En revanche j’apprenais le latin. Rosa, rosa, rosam. Aussi, lorsque bien plus tard par l’un de ces accidents ordinaires de la vie journalistique, je commençais à écrire sur le sujet, il s’avéra, bien entendu, que toutes les nouveautés que je lui déversais l’émerveillèrent. Sans mesure puisqu’elle avait, on s’en doute, tendance à s’inonder. Fournie à un rythme intense – appelez-moi Danaïde – elle se faisait par ailleurs une joie de distribuer à ses divers visiteurs ce que je venais de lui donner, en s’excusant que la bouteille ait été ouverte. Être généreuse étant également un bonheur inépuisable. Et sachant bien que tout le monde aime le parfum. »
Maïté Turonnet, auteure du livre « Pot-pourri » (Editions Nez) – Madame Figaro – 19 mai 2023