La résilience tire sa force du fait de passer pour indiscutable. En face de tous les malheurs, elle nous invite à explorer les mille et une manières de plier sans rompre et de nous renforcer dans l’épreuve. Résister sans opposer de résistance, accepter que les hommes évoluent dans une société du désastre, cultiver cette force intérieure nous permettant d’anticiper les catastrophes, d’en accepter l’inéluctabilité et, malgré tout, d’aller de l’avant.
La résilience entend nous préparer au pire sans jamais en élucider les causes. Cet impératif de préparation fonde la « transition écologique et climatique » que doit organiser la loi Climat. Cette politique de résilience a toutes les allures d’une implacable et déshumanisante ingénierie du consentement. Il s’agit aussi de consentir aux nuisances et de subir sans protester ce qui nous touche au plus profond de nous, notre santé notamment. Consentir enfin à l’expérimentation de nouvelles conditions de vie. Il s’agit d’entériner ce nouvel esprit de nuisance reposant sur le « do it yourself », cette maestria du bricolage en temps de catastrophe.
Cet esprit, au lendemain de l’accident nucléaire de Fukushima, a contribué à calmer la fureur des populations japonaises. Des « résiliothérapeutes » gèrent les populations encore exposées à la contamination de Fukushima, l’immense majorité n’ayant pas été déplacée. Ainsi, réduisent-ils au silence la liberté de ces populations d’avoir peur, sous couvert de les libérer de cette peur. En France, en ce moment même, cela signifie vivre avec le confinement, avec un masque, une attestation, le couvre-feu… donc en acceptant la privation de libertés et la surveillance du respect de cette privation. Tout cela pour préparer « le monde d’après ».
La peur est le signe d’une disposition non altérée à la liberté et à la vérité, un moment indispensable pour prendre conscience des causes qui nous amènent à l’éprouver. Elle est un effet de la catastrophe et non pas une conséquence, contrairement à ce qu’en dit la résiliothérapie qui en individualise la prise en charge en culpabilisant les victimes et préconise d’apprendre à éteindre notre peur pour mieux étreindre notre malheur.
Thierry Ribault, auteur de « Contre la résilience, à Fukushima et ailleurs » (Ed. L’Echappée, 2021)
propos recueillis par Stéphane Mandard
Le Monde – 24 mars 2021