Admettons un instant la possibilité de considérer séparément notre mission d’éducation des jeunes et notre système éducatif. Évidemment, ils semblent indissociables. Poursuivons néanmoins. Nous remarquerons que notre système éducatif, fondé sur l’école publique laïque, gratuite et obligatoire, a été créé par la IIIe République, il y a près de 150 ans. Il a certes beaucoup évolué, ses fondateurs ne le reconnaîtraient pas aujourd’hui, mais la matrice demeure, qui envisageait un avenir continu, sous le signe de l’idée de progrès. Mais le temps a passé. Notre mission d’éducation des jeunes est une tâche du temps présent, tournée vers un avenir que nous ne pouvons pas décrire, avec des parcours de vie imprévisibles.
Dans le contexte de la rupture temporelle contemporaine, comparons les promesses et la réalité. Les promesses d’hier, c’étaient des carrières assurées, fondées sur le niveau scolaire ou universitaire atteint, c’étaient des familles dans lesquelles la transmission s’effectuait spontanément. Ce sont maintenant des aventures professionnelles qui, à l’initiative de chaque jeune – ou parfois de son employeur – peuvent changer de cours, inopinément ou dans le cadre d’un projet de vie.
Pour ce qui est du contenu des enseignements, prenons un seul exemple. La géographie humaine telle qu’on l’enseignait décrivait un monde immobile, assorti de conquêtes. Ce monde est aujourd’hui intégré, parcouru de courants puissants. Un spécialiste du passé n’y reconnaîtrait pas ses petits.
Nous sommes au pied du mur de l’intelligence artificielle qui métamorphose toutes les matières. Il ne s’agit plus de réformer l’enseignement, notamment celui des mathématiques. Le devoir d’invention est la tâche du présent. Nul ne peut savoir comment se déroulera le clash imminent entre les sachants, toutes options confondues, et une réalité différente, voire fracassante, qui s’imposera avec l’appui inconditionnel des enfants et des jeunes, encore inacceptable pour beaucoup.
Comme l’écrivait Stefan Zweig dans « Le Monde d’hier », « Nous nous trouvons une nouvelle fois face à un tournant, à une conclusion et à un début. Il faut aujourd’hui former des hypothèses audacieuses, reposer les problèmes en termes nouveaux, essayer des chemins où personne ne s’est encore engagé » .
Chaque jeune, qu’il en ait conscience ou non, sera dans la situation d’Ulysse : il sillonnera son existence au gré des vents et des rencontres…
Hélène Braun