En 2005, un pêcheur se rendit compte qu’il faisait des prises exceptionnelles en un certain endroit du golfe du Mexique, entre l’Alabama et la Floride. Intrigué, il demanda à un plongeur d’aller voir ce qu’il y avait au fond pour attirer tant de poissons.
C’était une forêt ! Pas une forêt métaphorique faite de coraux ou d’algues. Non, une véritable forêt, grande comme deux terrains de football, une forêt de cyprès chauves, avec des racines, des troncs, des branches et des feuilles. Pendant des millions d’années, elle était restée cachée et silencieuse au fond de la mer, à 20 mètres de profondeur, préservée de l’oxydation par une couche de sable et de sédiments de plus de trois mètres d’épaisseur.
En 2004, la tempête Ivan, de magnitude 5, avait, avant d’arriver sur la côte, traversé le golfe du Mexique, soulevant cette couche de sable et de sédiments et dévoilant les arbres.
Le bois était trop vieux pour qu’une datation au carbone 14 soit possible mais l’analyse des anneaux de croissance, celle du pollen et du sable révéla que la forêt était vivante au quatrième âge glaciaire, il y a 200 à 300 millions d’années.
En décembre 2019, une expédition de biologistes, chimistes et microbiologistes plongea dans cette étrange oasis où se sont rencontrés la terre et la mer et dont l’emplacement exact est tenu secret. Leur mission : récolter, documenter et étudier tous les petits animaux xylophages (mangeurs de bois) qui se repaissent du bois immergé et qui, quand la forêt a ressurgi au fond de la mer, se sont rués sur ce buffet providentiel. Les chercheurs s’intéressent surtout aux tarets, des mollusques bivalves allongés qui ressemblent à des vers. Les navigateurs les redoutent car ils rongent les flancs et les carènes des bateaux en bois. Les ingénieurs maritimes aussi car ils sont capables de détruire les protections des digues.
Ces mollusques vivent en symbiose avec une bactérie, présente dans leurs branchies. Cette bactérie produit une enzyme capable de décomposer le bois. Pendant ce processus, leur estomac est comme désinfecté, et cela suggère la présence d’antibiotiques naturels.
Tous ces composés ont été sélectionnés pendant des millions d’années, au fur et à mesure que leurs hôtes évoluaient. Les scientifiques font donc le pari que ces micro-organismes pourront permettre de fabriquer des médicaments contre le cancer, les douleurs chroniques, des maladies infectieuses. Des médicaments moins toxiques que ceux qui sont élaborés en laboratoire. Un échantillon peut fournir des douzaines de souches et il faudra des mois et des mois pour les étudier, puis si les premiers tests s’avèrent positifs, encore au moins une quinzaine d’années avant de pouvoir lancer un médicament sur le marché.
Joanna Klein et Annie Flanagan – International New York Times – 4 avril 2020