« La pensée statistique n’est pas toujours exacte, loin s’en faut. Mais [il arrive que] des erreurs surviennent lorsque nous produisons un jugement en raisonnant de façon causale alors que nous aurions dû le faire de façon statistique.
Par exemple, il se trouve que des femmes supérieurement intelligentes se marient le plus souvent avec des hommes moins intelligents qu’elles. Si nous nous demandons pourquoi en recherchant une cause, par exemple psychologique, à cet état de fait, nous risquons fort de nous tromper, parce qu’il se trouve aussi que des hommes supérieurement intelligents se marient avec des femmes moins intelligentes qu’eux ! La seule explication est de nature statistique, elle est liée à ce que les statisticiens appellent ̏ la régression vers la moyenne ̋ : si vous avez une valeur extrême sur une caractéristique (en l’occurrence une intelligence supérieure), il est plus probable que vous rencontriez quelqu’un qui a, lui, une valeur moyenne.
Le même phénomène explique qu’un étudiant qui a brillamment réussi une première épreuve réussisse un peu moins brillamment la seconde. La pensée causale dira par exemple : ̏ c’est parce qu’il s’est reposé sur ses lauriers ̋, ou autre chose du même genre, alors qu’en fait, la seule régression vers la moyenne suffit à expliquer cette moindre performance. Mais autant la pensée causale nous est familière, parce qu’elle nous permet de donner un sens au monde, autant, à moins d’être statisticiens, nous n’avons pas l’habitude de penser sur le mode statistique. »
Daniel Kahneman, prix Nobel d’économie – propos recueillis par Yann Verdo – Les Echos -18 octobre 2021 – à propos de son ouvrage écrit en collaboration avec Olivier Sibony et Cass R. Sunstein, Noise (Ed. Odile Jacob, 2021)